Mise à jour le 11 août 2025
Accroches :
- Jean Rivero, Le Huron au Palais-Royal ou réflexions naïves sur le recours pour excès de pouvoir, 1962 : « Ne blasphémez pas ! C’est une grande et glorieuse institution que le recours pour excès de pouvoir ; même lorsqu’il n’apporte pas à celui qui l’exerce avec succès une satisfaction concrète – et il la lui apporte, malgré tout, dans nombre de cas –, il maintient, au-dessus des contingences, le principe que l’Administration est soumise au Droit. »
- CE, 2024, Accès au juge administratif : le Conseil d’Etat fait évoluer sa jurisprudence pour simplifier les règles permettant de saisir une juridiction administrative par courrier, en adoptant la règle du « cachet de la poste faisant foi », qui signifie qu’un recours contentieux envoyé par voie postale doit être posté avant l’expiration du délai de recours, et non parvenir à la juridiction administrative avant la fin de ce délai.
Définitions :
- Principe de légalité : principe selon lequel l’activité de l’Etat doit se fonder sur le droit, ce qui signifie qu’un acte administratif doit être conforme à plusieurs normes et que la légalité d’un acte administratif peut faire l’objet d’un contrôle interne ou d’un contrôle du juge.
- Recours au juge : procédure par laquelle une personne appelle une autre personne ou une institution afin de faire valoir ses droits devant la justice.
- Juge : magistrat chargé de rendre la justice, qui peut de manière schématique être le juge civil, le juge administratif ou le juge constitutionnel.
- Recours pour excès de pouvoir : dans le cadre de ce recours, le juge n’a que le pouvoir d’annuler un acte illégal et se place à la date de la décision attaquée pour en apprécier la légalité (Edouard Laferrière, Traité de la juridiction administrative : le recours pour excès de pouvoir est le « procès fait à un acte ») ;
- Recours de plein contentieux : dans le cadre de ce recours, le juge dispose d’un pouvoir de réformation des actes administratifs qui permet notamment d’infliger une sanction ou d’octroyer une indemnité, et se prononce en fonction des circonstances de droit et de fait existantes à la date du jugement.
- Recours administratif : réclamation adressée à l’administration pour lui demander de changer une décision qu’elle a prise, qui peut prendre deux formes (article L 410-1 du CRPA), soit un recours gracieux adressé à l’agent ayant pris l’acte contesté, soit un recours hiérarchique effectué auprès du supérieur hiérarchique.
- Médiation : tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigne avec leur accord par la juridiction (article L 213-1 du CJA).
- Transaction : opération consistant pour les parties à conclure un contrat mettant un terme à une contestation existante ou prévenant un conflit à naître.
- Arbitrage : processus juridictionnel par lequel les parties choisissent de confier à un tribunal arbitral, composé d’un ou de plusieurs arbitres, la mission de trancher leur litige par une décision « sentence arbitrale » qui sera dotée de l’autorité de la chose jugée.
Enjeux :
- Le recours administratif répond à des conditions de recevabilité que sont l’intérêt à agir du requérant ; le caractère d’acte administratif de l’objet du recours ; la non-appartenance de l’acte à la catégorie des actes non susceptibles de recours, qui inclut les actes de gouvernement et les mesures d’ordre intérieur ; le respect des conditions de forme lors du dépôt du recours ; la formulation dans un délai de principe de deux mois.
- Le recours au juge est un élément fondamental de l’Etat de droit en ce qu’il assure le respect du principe de légalité par l’administration et répond aux exigences de garantie des droits et de séparation des pouvoirs.
- Alors que divers éléments légaux et procéduraux facilitent l’ouverture du prétoire du juge, le recours au juge est aujourd’hui victime de son succès car les juridictions administratives doivent traiter un grand nombre de litiges, ce qui contribue à l’allongement des délais de jugement et entraîne des difficultés d’ordre matériel pour le service public de la justice.
- Des modes de règlement de conflit contournant le recours au juge ont été mis en œuvre, comme les recours administratifs préalables obligatoires (RAPO) et les moyens alternatifs de règlement des conflits (MARC), mais ils présentent encore des limites et risquent d’affaiblir le principe de légalité.
Un équilibre peut-il être trouvé entre l’ouverture du recours au juge, garant de la protection des droits, et le bon fonctionnement du service public de la justice, chargé par conséquence de traiter un nombre croissant de recours ?
Le recours au juge, essentiel à la protection des droits, est aujourd’hui victime de son succès (I).
La protection des droits que permet le recours au juge a conduit à sa large ouverture (A).
Le recours au juge, qui assure le respect du principe de légalité, est protégé par différents niveaux de norme (1).
Les sources constitutionnelles.
- Article 16 de la DDHC: « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »
- Le droit au recours est un principe constitutionnel (CC, 1996, Autonomie de la Polynésie française, 1996) : la garantie des droits suppose l’observation du principe de légalité dont le juge est le garant suprême (CC, 2011, QPC Mme Ekaterina B…) et il ressort des exigences de l’article 16 de la DDHC qu’il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes d’exercer un recours effectif devant une juridiction (CC, 2013, QPC M. Jeremy F…).
- Le juge judiciaire est le gardien de la liberté individuelle (article 66 de la Constitution), ce qui signifie qu’il lui appartient de veiller à la proportionnalité des atteintes aux droits et libertés au nom des principes relatifs à la recherche des auteurs d’infractions (CC, 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité).
Les sources conventionnelles.
- Article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
- Article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme: « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
- Le recours au juge est un principe général du droit de l’UE (CJCE, 1986, Johnston), directement déduit de la notion d’Etat de droit (CJCE, 1986, Les Verts).
Les sources jurisprudentielles.
- Le droit au recours en cassation est un principe général du droit, ouvert même sans texte (CE, 1947, D’Aillières), ce qui signifie qu’une loi ne peut prévoir qu’une décision est insusceptible de recours.
- Tout acte administratif peut être contesté au moyen du recours pour excès de pouvoir (CE, 1950, Dame Lamotte), les dispositions d’une loi peuvent donc exclure le recours de plein contentieux mais pas le recours pour excès de pouvoir (CE, 1953, Falco et Vidaillac).
- La possibilité de former un recours hiérarchique a été reconnue comme principe général du droit (CE, 1950, Queralt), avant d’être codifiée à l’article L 410-2 du CRPA.
Le recours au juge est largement ouvert et facilité par divers éléments procéduraux (2).
Une large attribution de l’intérêt pour agir.
- L’intérêt pour agir est reconnu de manière individuelle, comme de manière collective (CE, 1906, Syndicat des patrons-coiffeurs de Limoges).
- L’intérêt collectif peut être reconnu aux contribuables d’une commune (CE, 1901, Casanova), aux contribuables nationaux (CE, 1962, Brocas) ou aux usagers d’un service public (CE, 1906, Quartier Croix-de-Seguey-Tivoli).
- La loi peut attribuer l’intérêt pour agir à certaines catégories de personnes morales, comme les associations de protection de l’environnement agréées pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec leur objet et leurs activités statutaires (article L 141-2 du code de l’environnement).
Une vaste interprétation de la notion d’acte administratif.
- Toute acte de l’administration est en principe susceptible de recours dès lors qu’il constitue une décision en vertu de la règle de la décision préalable (article R 421-1 du CJA), qu’il s’agisse des actes réglementaires que sont les décrets, arrêtés, décisions individuelles, etc. mais aussi des ordonnances (CE, 1961, Fédération nationale des syndicats de police), même prises sur le fondement d’une loi d’habilitation référendaire (CE, 1962, Canal), dès lors qu’elles ne sont pas encore ratifiées (CE, 2020, Conseil national de l’ordre des architectes.
- Le juge peut être saisi des décisions explicites mais aussi implicites (CE, 1966, Mme Cusenier).
- Un acte administratif peut avoir édicté par toute autorité administrative, ainsi que par une personne privée chargée d’une mission de service public (CE, 1942, Monpeurt), voire par le Parlement s’agissant des litiges relatifs aux fonctionnaires des assemblées (ordonnance du 17 novembre 1958) ou des contentieux liés aux marchés publics des assemblées (CE, Président de l’Assemblée nationale, 1999) et par les juridictions judiciaires lorsqu’elles prennent des décisions touchant à l’organisation du service public de la justice (TC, 1952, Préfet de la Guyane).
- Bien qu’ils ne comportent pas de décision, les « documents de portée générale» (CE, 2020, GISTI) que sont les circulaires (CE, 2002, Duvignères), les lignes directrices (CE, 1970, Crédit Foncier de France) et les actes de « droit souple » (CE, 2016, Fairvesta et Numericable) peuvent faire l’objet d’un recours car leur importance est telle que le juge ne saurait les ignorer.
La réduction du champ des actes insusceptibles de recours.
- Le champ des actes de gouvernement a reculé dans le domaine des actes portant sur les rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels, qui ne recouvre plus le décret du président de la République déclarant l’état d’urgence (CE, 2006, Rolin et Boisvert) ni la décision du Premier ministre refusant d’engager la procédure de déclassement (CE, 1999, Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire), ainsi que dans le domaine des actes intervenant dans le champ des relations internationale de la France, qui n’inclut plus la décision de refus d’extradition (CE, 1993, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord) ni le décret décidant la ratification et la publication d’un traité international (CE, 1998, Blotzheim).
- Le champ des décisions ne faisant pas grief s’est réduit du fait de l’attrition des mesures d’ordre intérieur dans trois domaines que sont les écoles (CE, 1992, Kherouaa), les casernes (CE, 1995, Hardouin) et les prisons (CE, 1995, Marie).
Le recours au juge a été facilité par différents éléments procéduraux.
- La gratuité du recours : le décret du 2 novembre 1864 affirme que les affaires contentieuses « seront jugées sans autres frais que les droits de timbre et d’enregistrement » et a supprimé l’obligation de ministère d’avocat ; les droits de timbre dont devaient s’acquitter les justiciables ont été supprimé au 1 janvier 2014, et la partie gagnante peut se voir rembourser par son adversaire tout ou partie de frais engagés à l’occasion d’une instance sur décision du juge, qui tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée (article L 761-1 du CJA).
- L’aide juridictionnelle: les conditions d’accès au dispositif ont été élargies par la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridictionnelle.
- L’efficacité du juge: l’effet utile des décisions a été renforcé par les pouvoirs d’injonction (loi du 16 juillet 1980) et d’astreinte (loi du 8 février 1995) reconnus au juge, ainsi que par la création du référé-suspension, du référé-suspension et du référé-mesures utiles par la loi du 30 juin 2000.
- La dématérialisation des démarches: la mise en place de Télérecours Citoyens par le décret du 9 octobre 2020 permet aux requérants, depuis le 1 janvier 2021, de déposer leurs mémoires et leurs requêtes par voie électronique.
Malgré son encadrement, le recours au juge est victime de son succès (B).
L’accès au juge est régulé par plusieurs conditions de recevabilité (1).
Le maintien de l’exigence d’un intérêt à agir.
- L’intérêt à agir demeure une condition nécessaire pour attaquer un acte (CE, 1995, M. Patrick Beucher), apprécié à travers l’exigence d’une corrélation suffisamment étroite avec l’objet de la plainte du requérant (conclusions de la rapporteuse Laurence Marion dans l’arrêt CE, 2017, M. Avrillier).
- La reconnaissance de l’intérêt à agir admet des limites : la qualité de citoyen ne saurait justifier un intérêt donnant qualité à former un recours pour excès de pouvoir (CE, 2011, M. Masson) et l’article 2 de la Charte de l’environnement ne saurait conférer à toute personne qui l’invoque un intérêt pour former un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de toute décision administrative qu’elle entend contester (CE, 2011, Mme Buguet).
L’encadrement des délais de recours.
- Le délai pour former un recours est temporellement encadré au nom du principe de sécurité juridique, avec une limite de 3 mois pendant des décennies (décret du 22 juillet 1806), désormais de 2 mois à compter de la publication de l’acte en cause.
- Lorsqu’aucun délai n’a commencé à courir faute pour l’administration d’avoir respecté l’obligation d’informer l’intéressé ou d’être en mesure de prouver qu’elle l’a respectée, le recours ne peut être exercé que dans un « délai raisonnable», en principe d’un an à compter de la notification ou de la date à laquelle il est établi que l’intéressé en a eu connaissance (CE, 2016, Czabaj).
L’écartement de certains moyens.
- Le vice de forme ne peut être invoqué à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir que s’il a exercé une influence sur le sens de la décision prise ou a privé l’intéressé d’une garantie (CE, 2011, Danthony).
- Les vices de forme et de procédure ne peuvent être soulevés contre un acte réglementaire que dans le cadre d’un recours par voie d’action, et ne peuvent plus être invoqués ultérieurement à l’expiration du délai de recours contentieux (CE, 2018, Fédération des finances et des affaires économiques de la CFDT).
La théorie de l’exception de recours parallèle. Georges Pichat, conclusions sur CE, 1912, Lafage : « Le recours pour excès de pouvoir ne doit pas troubler l’ordre des compétences. Il n’est pas recevable lorsque la partie a à sa disposition, devant une juridiction autre que le Conseil d’Etat, une action lui permettant d’obtenir satisfaction. La jurisprudence a fait de nombreuses applications de cette idée (…) en vue de sauvegarder la compétence du conseil de préfecture et de l’autorité judiciaire. »
Le nombre de recours entraîne des difficultés pour le service public de la justice (2).
L’augmentation du nombre de recours administratifs.
- Les chiffres-clés 2024 de la juridiction administrative publiés par le Conseil d’Etat montre que 9 763 affaires ont été jugées par le Conseil d’Etat en 2024 (8 703 affaires en 2000, dont 56 % liées au contentieux des étrangers), que 31 025 affaires ont été jugées par les cours administratives d’appel (13 000 affaires en 2000), que 254 644 affaires ont été jugées par les tribunaux administratifs (113 059 en 2000) et que 61 593 affaires ont été jugées par la Cour nationale du droit d’asile.
- La plateforme Télérecours a enregistré le dépôt de 261 596 recours, dont 38 042 via l’application Télérecours citoyens.
Une pression sur les délais de jugement.
- L’allongement des délais de jugement a conduit à certaines réformes d’ampleur, comme la création des cours administratives d’appel par la loi du 31 décembre 1987 ; le recours aux ordonnances permettant de filtrer en amont du jugement les pourvois manifestement irrecevables et le développement du juge unique ; la mise en œuvre, au Conseil d’Etat, de la procédure d’admission des pourvois en cassation, du développement des référés et de la réduction du champ d’intervention du rapporteur public (loi du 17 mai 2011) qui prévoit que le président de la formation de jugement peut dispenser le rapporteur public de faire connaître à l’audience ses observations sur une requête lorsque la solution de l’affaire semble évidente ou ne soulève aucune question de droit nouvelle.
- Les délais moyens de jugement ont été réduits par l’effet de ces réformes mais demeurent sous pression : en 2024, ils sont de 7 mois et 8 jours devant le Conseil d’Etat, de 11 mois et 12 jours devant les cours administratives d’appel, de 9 mois et 29 jours devant les tribunaux administratifs et de 5 mois et 9 jours devant la Cour nationale du droit d’asile.
Des difficultés matérielles. La loi du 9 septembre 2002 a prévu le recrutement de fonctionnaires supplémentaires (magistrats et membres des greffes), portant le nombre de magistrats en poste dans les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs a été porté de 300 à 1 265 entre 1980 et 2024, et la création de nouvelles juridictions administratives, comme les tribunaux administratifs de Toulon (2008) et Montreuil (2009) et la cour administrative d’appel de Toulouse (2022).
Le déploiement des modes alternatifs de règlement présente des failles, qui appellent à développer ces modes et à permettre au juge de statuer plus efficacement (II).
Le bilan des mesures mises en œuvre pour éviter le recours au juge apparaît mitigé (A).
Afin d’éviter le recours excessif au juge, des modes alternatifs de règlement des conflits ont été créés (1).
Les recours administratifs.
- Les recours administratifs préalables obligatoires (RAPO) subordonnent l’exercice d’un recours contentieux à l’existence préalable d’un recours administratif : une saisine préalable de la Commission d’accès aux documents administratifs est requise pour tout litige portant sur la communication de documents administratifs (CE, 1982, Mme Commaret ; article 342-1 du CRPA) ; une réclamation préalable doit être formée devant le directeur départemental des impôts et un avis donné par la commission départementale des impôts directs en matière fiscale ; un recours hiérarchique doit être formé devant la Commission de recours contre les décisions de refus de visa avant tout recours juridictionnel.
- Alors que le développement de ces mécanismes a été encouragé par le rapport de 2008 du Conseil d’Etat, qui a dressé le constat d’une profonde hétérogénéité et recommandé de fixer des règles générales pour unifier le régime et étendre leur champ à de nouveaux contentieux, la loi du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit a instauré la mention de la possibilité de former un RAPO dans la notification de la décision administrative ou l’obligation de motiver le rejet d’un RAPO.
La médiation.
- Le cadre général de la médiation en matière administrative prévu par le code de justice administrative a été rénové par la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI siècle, complétée par le décret « JADE » du 2 novembre 2016 : la médiation peut être employée pour tous les différends administratifs et être organisée à l’initiative des parties ou à celle du juge, la juridiction apportant dans tous les cas son soutien pour désigner le médiateur, et l’accord ainsi obtenu est homologué et rendu exécutoire par le juge.
- Des dispositions spéciales peuvent également prévoir l’intervention d’organismes ad hoc, comme le Comité national olympique et sportif français qui est chargé d’exercer une mission de conciliation dans les conflits opposant une fédération sportive à ses licenciés ou aux agents sportifs (article L 141-1 du code du sport).
- La loi du 18 novembre 2016 a prévu la possibilité, à titre expérimental, de créer par décret en Conseil d’Etat des dispositifs de médiation préalable obligatoire avant toute saisine du juge dans certains domaines, dont les litiges relatifs à la situation personnelle des agents publics.
- Le juge administratif dispose également de la faculté d’organiser une mission de conciliation (celle-ci étant intégrée dans la notion de médiation définie au sens large) lorsque les parties en sont d’accord (article L 211-4 du CJA).
- Dans le cadre du référé-expertise, le décret « JADE » a prévu que l’expert peut non seulement se voir confier une mission de médiation, mais également en prendre l’initiative avec l’accord des parties (article R 621-1 du CJA).
La transaction.
- Le droit de transiger, limité à un objet exclusivement pécuniaire, a été reconnu très tôt à administration (CE, 1887, Evêque de Moulins) et recommandé par la circulaire du Premier ministre du 6 avril 2011 relative au développement du recours à la transaction pour régler amiablement les conflits.
- Sous certaines conditions, le contrat de transaction peut être homologué par le juge administratif, qui vérifie alors la réalité du consentement et la licéité de la transaction, et notamment qu’elle ne constitue pas une libéralité pour l’administration (CE, 2002, avis contentieux Syndicat intercommunal des établissements du second degré du district de l’Haÿ-les-Roses), afin de donner force exécutoire à la transaction.
L’arbitrage.
- Les personnes publiques ne peuvent en principe pas avoir recours à l’arbitrage en vertu d’un principe général du droit (confirmé par les articles 2060 du code civil et L 432-1 du CRPA et rappelé dans CE, 1986, avis Eurodisneyland) mais des dérogations sont parfois aménagées lorsque le procédé présente un intérêt :
- Par la loi : l’article 2060 du code civil permet d’autoriser par décret des catégories d’établissements publics à caractère industriel et commercial « à compromettre » (ne visant que des litiges déjà nés) et des dérogations ponctuelles sont organisées, soit au bénéfice de certaines personnes publiques telles que la SNCF (loi du 30 décembre 1982), La Poste (loi du 2 juillet 1990) ou Réseau ferré de France (loi du 13 février 1997), soit pour certaines matières comme la détermination du montant des dettes et créances en matière de marchés publics (loi du 17 avril 1906) ou dans le cadre des litiges s’élevant à propos des contrats de partenariat, devenus marchés de partenariat (loi du 23 juillet 2015) ;
- Par des conventions internationales : l’accord économique et commercial global (AECG) conclu entre l’Europe et le Canada prévoit que les litiges entre investisseurs étrangers et Etats seront jugés par un tribunal d’arbitrage permanent, la Cour internationale d’investissement, dispositions que le Conseil constitutionnel a jugées conformes à la Constitution (CC, Accord CETA, 2017).
- Les sentences arbitrales peuvent être contestées par la voie d’un recours contentieux devant le juge judiciaire ou devant le juge administratif, les affaires relevant mettant en cause la conformité d’une telle sentence aux règles impératives du droit public français relatives à la commande publique ou à l’occupation du domaine public relevant de la compétence administrative (TC, 2010, Inserm ; TC, 2016, Société Fosmax ; CE, 2016, Société Fosmax).
Le déploiement de ces nouvelles procédures présente un bilan inégal (2).
Le bilan positif de la médiation.
- Le Conseil d’Etat, chargé de dresser le bilan de l’expérimentation de la médiation préalable obligatoire en 2021, conclut à un bilan positif avec la réalisation de 4 364 médiations obligatoires en 2018 et 2022 pour un taux d’accord de 76 %.
- Sur cette base, le décret du 25 mars 2022 pris sur la base de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a pérennisé le dispositif, la médiation préalable obligatoire s’appliquant désormais à l’ensemble des agents du ministère de l’Education nationale et de la fonction publique territoriale, ainsi qu’aux décisions individuelles prises par France Travail, mais a été abandonnée pour les contentieux sociaux et le contentieux lié aux fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères.
L’absence de généralisation des recours administratifs préalables obligatoires. La loi du 17 mai 2011 avait prévu que des décrets pourraient organiser à titre expérimental des RAPO en matière de fonction publique pour certains agents, mais cette possibilité n’a pas été suivie d’effets.
Des risques pour l’office du juge.
- Un dossier paru dans l’AJDA en 2019, intitulé « Légalité et sécurité juridique, un dialogue rompu ? », soulignait qu’après la jurisprudence Danthony, l’arrêt Czabaj, le développement des motifs de substitution de base légale ou de motifs en cours d’instance et l’ouverture de la possibilité d’annulation à effet différé, la jurisprudence Fédération CFDT poursuit le mouvement de « fermeture du prétoire» dans un souci de « sécurisation » de l’administration, qui pourrait conduire au retour d’une nouvelle forme d’ « annulation platonique » des décisions administratives.
- Commentant l’arrêt CE, 2019, Centre hospitalier de Sedan, la juriste Julie Arroyo (« Transaction et renonciation à l’exercice du recours pour excès de pouvoir », RFDA, 2019) souligne que la possibilité de renoncer par transaction à exercer un recours pour excès de pouvoir contribue à affaiblir le principe de légalité et risques de faire prévaloir les intérêts particuliers sur l’intérêt général.
Les deux voies d’amélioration des conditions du recours au juge sont le développement des modes alternatifs de règlement des conflits et l’amélioration de l’efficacité de traitement des recours (B).
Les modes alternatifs de règlement des conflits bénéficieraient d’un effort supplémentaire de développement (1).
Mettre en œuvre la réforme des recours administratifs préalables obligatoires.
- Alors que les RAPO restent très hétérogènes selon les secteurs, avec des délais, formulaires et procédures variables, une réforme transversale fixant un cadre commun serait souhaitable.
- L’administration devrait bénéficier de l’instauration d’un droit explicite et généralisé de rectifier immédiatement une décision illégale à l’occasion d’un RAPO, avec garanties pour l’usager.
- Alors que l’expérimentation nationale de 3 ans ciblant certains agents n’a pas été généralisée, il faudrait soit évaluer et généraliser le dispositif à l’ensemble de la fonction publique, soit formaliser l’abandon de l’expérimentation.
- Le déploiement des RAPO étant d’intensité variable selon les cas dans les domaines du permis de conduire, du contentieux des étrangers et du milieu pénitentiaire, une décision politique claire portant sur l’extension systématique des RAPO à ces domaines serait souhaitable.
Encourager la médiation.
- Le rapport du Conseil d’Etat de 2015, intitulé Justice administrative de demain, recommande de développer le rôle des médiateurs internes à l’administration pour la gestion des recours, y compris les RAPO.
- Les assises nationales de la médiation administrative organisées par le Conseil d’Etat en 2019 ont permis de mettre en avant l’importance de la structuration de réseaux de médiateurs et de la formation des agents.
- Un rapport parlementaire de 2020 portant sur l’évaluation de la médiation entre les usagers et l’administration proposait de désigner le Défenseur des droits comme coordinateur des médiateurs institutionnels et d’établir un réseau national des médiateurs, ainsi que de renforcer l’indépendance des différents médiateurs en la précisant dans les textes applicables.
- Le vice-président du Conseil d’Etat Jean-Marc Sauvé, dans un discours prononcé en 2016 lors du colloque « Paris, place internationale des modes alternatifs de règlement des litiges, souhaitait que se diffuse une véritable « culture de la médiation », ce qui n’est possible que « si les acteurs de la résolution des conflits, et plus particulièrement les juges et les avocats, font l’effort de s’impliquer dans le développement et la réussite de ces nouveaux dispositifs ».
Le juge doit pouvoir traiter les recours plus efficacement (2).
Développer l’utilisation de l’outil numérique par le juge.
- Selon le Vice-président Bruno Lasserre (« Le juge administratif face aux nouveaux enjeux du numérique », 2019), il faudrait développer davantage le numérique, qui doit permettre des gains d’efficacité et d’efficience au moyen du traitement des données par des algorithmes prédictifs, tout en fondant leur utilisation sur des principes de neutralité et de transparence, sans substituer ceux-ci à l’appréciation du juge ne pas les substituer au juge et en faisant en sorte qu’ils conservent une certaine hiérarchisation de la jurisprudence.
- Un deuxième avantage du recours aux algorithmes est souligné par Jean-Marc Sauvé (« La justice prédictive », 2018), selon qui le recours aux algorithmes pour le traitement des dossiers les plus répétitifs et les plus simples, comme ceux qui ne nécessitent que l’évaluation d’un dommage ou l’application d’un barème, encourage le règlement de nombreux litiges en amont même du recours au juge par le développement des modes alternatifs de règlement.
Faciliter l’exercice du recours au juge.
- Afin de limiter le besoin de conseil juridique initial, certaines initiatives comme le développement de formulaires-guides en ligne peuvent être encouragées.
- L’aide juridictionnelle, dont le pilotage devrait être renforcé selon la Cour des comptes (L’aide juridictionnelle, 2023), pourrait être également réformée par la mise en place d’une aide provisoire automatique dans les contentieux urgents que sont les référés-libertés ou la rétention administrative.
- Accélérer le traitement des recours: il serait possible de mettre en place l’expérimentation de juges uniques pour les litiges simples et de raccourcir les délais des cours administratives d’appel en instaurant un filtrage renforcé des appels irrecevables.
Mettre en place de nouveaux modes de saisine. Face au risque de « fermeture du prétoire » résultant de la réduction des possibilités d’invoquer le motif des vices de procédure, il serait possible, comme le recommande Yann Aguila (« Vers un référé pré-décisionnel ? », AJDA, 2019), de créer un référé pré-décisionnel pour les vices de procédures permettant de traiter ceux-ci avant l’édiction de la décision.
Sources :
Stirn et Aguila, Droit public français et européen, Editions Presses de Sciences Po
Site internet du Conseil d’Etat (dossiers, rapports, discours du Vice-président).
Institutions et auteurs cités dans le corps du texte.
Notes de cours dispensés à Sciences Po Paris et au sein de la Prép’INSP Paris-I/ENS.